Peut-on se passer de rembourser la dette ?

Récemment quelques économistes payés par l’État (ça commence bien) ont tenté de démontrer que rembourser la dette n’était pas nécessaire. En regardant leurs arguments, j’ai réalisé que j’étais capable de les comprendre (première performance) et de comprendre leurs faiblesses (deuxième performance!). Et maintenant, on va voir si je suis capable de les expliquer (ce qui constituerait une troisième performance!).

Argument n°1 : le patrimoine

Le premier argument suppose que le patrimoine de l’État (mairies, écoles, les monuments comme la Tour Eiffel, etc.) s’évaluait à un montant bien plus élevé que la dette, ce qui en minimiserait la nécessité de rembourser la dette : nous aurions un bilan positif et donc nous seriont solvable.

Déjà, premier problème avec cet argument : ça voudrait dire que d’une, on veut vendre notre patrimoine (belle opération de privatisation, potentiellement à l’encontre de la volonté des français) et de deux, qu’il y ait des gens pour l’acheter (vu l’état de certaines institutions, ce n’est pas gagné).

Ensuite considérer que vendre le patrimoine résoudrait le problème de dette, c’est oublier qu’on s’endette chaque année parce que l’État dépense plus que ce qu’il touche comme revenu (impôts, emprunts) : il est déficitaire. Pour prendre un parallèle commun, c’est comme si mon salaire ne couvrait pas mes dépenses et que je vends mon appart pour y remédier. Si je ne réduis pas mes dépenses à côté, j’aurai juste gagné un peu de répit avant d’être à nouveau dans le rouge.

Argument n°2 : on se sert de notre patrimoine

Le second argument, c’est de dire qu’on utilise les institutions et services de l’État au quotidien. Bon, déjà, on ne développera pas l’état lamentable des institutions et services en question (bizarrement, celui qui marche le mieux, c’est impots.gouv.fr). Ensuite, la plupart de ces institutions ne créent pas de valeur et se contente soit de pondre des réglementations, soit de surveiller qu’on les respectes (et sanctionner si ce n’est pas le cas).

L’autre contre argument est un argument libéral : si l’État se concentrait sur ses fonctions de base (politique étrangère, sécurité et justice), il ferait nettement mieux son boulot (il n’est pas omnipotent).

Argument n°3 : ce n’est pas grave si l’État ne rembourse pas sa dette

Le troisième argument dit que « c’est pas grave si l’État ne rembourse pas sa dette ». Alors déjà, merci pour les créanciers.

D’abord, une partie d’entre eux, c’est nous : quand on a une épargne gérée par la banque, y’a fort à parier qu’elle est en partie placée en obligations d’État, donc si l’État ne rembourse pas, notre épargne, comment dire … adieu.

Ensuite, une partie des créanciers sont étrangers, et je doute qu’ils apprécient si on ne les remboursent pas. En tout cas, je doute qu’ils prêtent à nouveau, après.

Enfin, y’a la BCE, la banque centrale européenne. On s’imagine pouvoir négocier, mais … elle prête aussi, donc s’attend à un remboursement.

Ceux qui pensent qu’elle peut imprimer plein de billets pour se rembourser toute seule, notez que ce n’est pas si simple.

Déjà y’a un phénomène mécanique : si le volume de monnaie en circulation augmente plus vite que la création de valeur (donc que la capacité à produire des entreprises), alors le prix de tout ce qui circule sur les marchés augmente. Ensuite, l’argent imprimé ne transite pas dans l’économie jusqu’à notre porte monnaie à la vitesse lumière. Cet argent bénéficie déjà aux banques, aux états, aux grandes entreprises qui ont leur ticket dans les bureaux des gouvernement (vous savez, les cabinets de conseil, les lobbies & co.?), etc. Et seulement ensuite, les petites entreprises et les petites gens peuvent en voir la couleur. Vu le phénomène mécanique évoqué en premier, forcément le billet de banque a perdu de la valeur, avant d’arriver. C’est pour ça que certains disent que la planche à billet est un impôt caché : la différence de valeur de la monnaie entre son passage dans les caisses de l’État et son arrivée dans notre porte-monnaie, c’est du bénéfice pour l’État … au détriment de ceux qui viennent après.

Argument n°4 : enfin voyons ! L’on ne gère pas un pays comme une entreprise, ou sa famille !

Le dernier argument est celui qui, après réflexion, fait le plus froid dans le dos. C’est le coup de dire que l’État n’est pas comme une entreprise ou une famille. Sur le coup on se dit « bah oui, c’est ZE institution qui nous protège du Mal. » Sauf que ce raisonnement n’est pas anodin. Mine de rien,

  • l’État dispose d’un budget, comme tout un chacun ;
  • il le dépense pour rendre des services (comme tout un chacun), produire des normes et les imposer (là ça paraît différent, on y revient après) ;
  • et doit rembourser l’argent qu’il a emprunté, comme tout un chacun.

Alors oui, produire des normes et les imposer, ce n’est pas donné à tout le monde. Cependant, dans une démocratie, c’est une fonction déléguée par l’ensemble des citoyens (au nom de leur foyer respectif) sur la base de leur confiance envers l’État. Donc techniquement, c’est bien quelque chose de commun avec l’ensemble des citoyens … En passant, à chaque fois qu’on dit « fait pas ci », « fait pas ça » à nos enfants, on est bien en train de leur fixer des normes (et on les sanctionnes s’ils ne les respectent pas).

Un dernier point, sur l’État : contrairement à certaines croyances populaires, ce n’est pas une entité consciente, omnisciente et omnipotente, pleine de bonnes intentions envers le bas peuple.

Déjà, là seule entité omnisciente, omnipotente, et pleine de bonnes intentions que je connaisse a fait le choix de nous laisser un max de libertés, y compris de croire ou non en son existence. Y’a probablement une bonne raison à ça. Mais laissons l’aspect métaphysique de la question de côté.

Dans les faits, l’État, c’est comme tout le reste dans les sociétés humaines : un ensemble d’êtres humains avec des droits, des devoirs, une vie privée, des aspirations, des faiblesses, etc. Et le coup des faiblesses est important. Parce que la particularité de l’État, c’est que l’assemblé des citoyens libres (je vous invite à regarder sur wikitionnaire l’étymologie du mot « franc ») lui ont conféré un pouvoir particulier pour qu’il fasse respecter le droit (le fameux « droit naturel » que les libéraux rabâchent sans cesse). Et j’espère n’apprendre rien en disant que l’appât du pouvoir peut détourner un homme, aussi bon soit-il … et quand ce pouvoir devient trop grand, gare à la cata.

Une dette, ça se rembourse

Et ce, quel que soit le status du débiteur. Jouer sur son patrimoine ou la qualité de service n’y change rien : il faut rembourser. Et le status de l’État ne le met pas sur un pied d’estale, ça ne le dispense pas de rembourser.