Introduction

Richard P. Rumelt (né en 1942) est un professeur émérite américain de stratégie à la UCLA Anderson School of Management. Ingénieur électricien de formation (diplômes de UC Berkeley), il a obtenu un doctorat à la Harvard Business School et a enseigné à Harvard avant de rejoindre UCLA en 1976.

Considéré comme l’un des penseurs les plus influents en stratégie d’entreprise (classé parmi les top penseurs par McKinsey, The Economist et Thinkers50), il est surtout connu pour ses travaux pionniers sur la diversification, les sources d’avantage compétitif durable et la distinction entre bonne et mauvaise stratégie.

Son livre le plus célèbre, Good Strategy / Bad Strategy (2011), est un best-seller mondial qui critique les stratégies vides de sens et explique comment construire une stratégie puissante, focalisée et actionable.

Selon Richard Rumelt, une bonne stratégie est rare et se distingue radicalement des mauvaises stratégies (objectifs vagues et superficielle, powerpoints vides, …). Elle repose sur trois éléments interdépendants :

  1. Un diagnostic clair : une compréhension lucide et souvent simplifiée de la nature réelle du défi (quel est le vrai problème ? Qu’est-ce qui rend la situation difficile ?).
  2. Une politique directrice : une approche globale cohérente pour traiter ce défi. Ce n’est pas encore un plan d’action, mais une ligne directrice qui élimine des milliers d’options et oriente les efforts.
  3. Un ensemble d’actions cohérentes : des étapes concrètes, coordonnées et souvent séquentielles qui mettent en œuvre la politique directrice en surmontant les obstacles identifiés.

Consultant auprès de grandes entreprises, d’organisations à but non lucratif et de gouvernements, il est reconnu pour son approche pragmatique et sans complaisance de la stratégie. Rumelt a récemment publié The Crux (2022), qui développe les clés pour construire une bonne stratégie, solide et efficace.

Surmonter les obstacles

La stratégie, c’est trouver « comment » faire avancer les intérêts de l’entreprise :

  • identifier les facteurs clés dans une situation donnée, puis
  • concevoir une solution pour coordonner et concentrer les actions.

Cette solution paraît généralement simple, et effectivement, elle doit pouvoir s’expliquer simplement : inutile de fournir des dizaines de graphiques complexes, d’être ambitieux, ou “d’envoyer du lourd”, seuls les éléments clés de la solution doivent suffire.

La meilleure stratégie reste celle qui s’exprime simplement et clairement, ancrée dans le concret. Elle est elle-même constituée d’objectifs simples et concrets, centrés sur la résolutions du problème. Sans rentrer dans le menu des détails, la bonne stratégie est applicable immédiatement, et fournit les premiers jalons de sa mise en œuvre.

Une mauvaise stratégie n’est pas forcément une absence de stratégie. C’est une stratégie s’arrêtant sur plein de petits détails, et qui va tenter d’accommoder des demandes et attentes incompatibles entre elles. Une telle stratégie va alors s’embarquer dans une vision démesurée et abstraite. Elle amène à se concentrer sur la mise en place d’objectifs ambitieux, plutôt que sur la résolution de problèmes et le traitement des enjeux. La mauvaise stratégie sera également tentée d’esquiver les sujets sensibles, jugés anxiogènes, ou critiques, de peur de heurter les porteurs de certaines demandes.

Parfois, la notion de stratégie se mélange avec des “buzz words” ou slogans, sensés représenter l’ambition du succès ou l’ambition de l’entreprise, mais finalement sans consistance. Parfois, la notion de stratégie est perçue comme une vue d’ensemble, déconnectée des actions concrètes sensées en découler, et donc comme une sorte de roue tournant dans le vide, sans rapport à la réalité.

La bonne stratégie repose sur trois éléments clés.

  1. Un diagnostique permettant d’identifier les obstacles. 
  2. Une ligne de conduite indiquant comment surmonter ces obstacles. 
  3. Un ensemble d’actions cohérentes, mettant en œuvre la ligne de conduite.

Remarque : pour identifier les obstacles sur la route, il faut une vision claire de la destination que l’on veut atteindre, et identifier la direction à suivre pour atteindre cette destination. À partir de là, nous pouvons définir la route à suivre, c’est-à-dire la stratégie.

Bonne et mauvaise stratégie

La stratégie consiste globalement à travailler sur ses avantages, ou points forts, pour en tirer pleinement partie. Deux éléments clés permettent de créer une stratégie solide. D’une part, là où de nombreuses entreprises seront tentées de se diversifier pour étendre leurs opportunités, il s’agira plutôt de travailler sur une conception de stratégie cohérente, et de s’assurer d’aligner sa ligne de conduite, ses actions et ses ressources pour mettre en œuvre la stratégie. D’autre part, être capable de changer de point de vue sur sa part de marché ou la compétition, permet d’apporter de subtiles changements à sa stratégie et de s’ouvrir de nouvelles opportunités.

L’art de s’attendre à l’inattendu

De l’expérience d’Apple (fin des années 90), on voit que l’opportunité se dégage naturellement du paysage du marché, lorsque nous sommes concentré sur notre secteur. Steve Jobs a simplifié au maximum les lignes de production et de vente, et recentré l’offre d’Apple sur deux produits : un PC fixe et un portable. Une fois fermement ancré sur son segment, Apple n’avait plus qu’à rester attentif aux évolutions du marché, pour saisir les nouvelles opportunités compatibles avec sa stratégie.

Remarque : la stratégie ne se limite pas à suivre et cibler un segment de marché, puis définir et appliquer une ligne de conduite pour celui-ci, mais elle consiste aussi à maîtriser sa chaîne de valeur, de l’acquisition des composants (matériel, logiciel, etc.) jusqu’à la livraison et la vente du produit.

L’exemple de l’offensive américaine au Koweït, lors de la première guerre du golf, montre également l’importance de rester concentré sur une stratégie précise (en plus d’autres éléments, comme la diversion), y compris avec une force militaire conséquente.

Une bonne stratégie nécessite de savoir imposer une ligne stricte et refuser toute suggestion, ou demande susceptible d’éloigner de cette ligne.

Découvrir de nouvelles ressources

Explorer de nouvelles perspectives peut ouvrir les yeux sur de nouvelles opportunités, de nouveaux avantages ou de nouvelles menaces.

Quand on regarde l’histoire de David et Goliath sous l’aspect de la stratégie, nous réalisons que le point de vue de David révèle une faiblesse, dans l’armure de Goliath : son front est découvert. Nous comprenons alors que se fier à l’apparence peut nous amener à faire de mauvais choix et aborder le problème avec une posture qui ne nous correspond pas (cf. Saül proposant une armure à David) au lieu de considérer nos propres atouts.

Le cas de Wal-Mart nous montre qu’au delà d’un principe ou d’un outils, on peut l’étendre, voir le détourner, pour créer de nouvelles opportunités. Il ne s’agit pas forcément de se concentrer sur la compétition, mais sur les principes fondamentaux régissant son marché (suivre les innovations) et les moyens disponibles pour améliorer sa chaîne de valeur et de production. Tout ces principes et outils doivent s’emboîter et s’ajuster de façon logique, pour en tirer le meilleur bénéfice. Dans le cas de Wal-Mart, cela s’est traduit par une redéfinition de la notion même de magasin, remplacée par un réseau de magasins alignés entre eux, aidés par des outils et une approche managériale renforçant la cohérence du réseau.

La stratégie s’appuie sur la philosophie même du marché sur lequel se trouve l’entreprise. Il est important de savoir analyser cette philosophie, pour savoir changer de perspective et jouer avec les règles, de la même façon que maîtriser une langue permet de jouer sur les mots.

Stratégie business : identifier ses forces et faiblesses, ainsi que les opportunités et risques du marché (i.e. forces et faiblesses des autres acteurs du marché), puis capitaliser et développer ses propres forces. Remarque : typiquement l’exercice du SWOT (forces/faiblesses, opportunités/menaces) qu’on applique à son propre produit et à ses concurrents.

Mauvaise stratégie

La présence de l’un de ces éléments clés suffit à identifier une mauvaise stratégie au premier coup d’œil :

  • du jargon incompréhensible, des schémas complexes, des demi-vérités,… ;
  • des enjeux mal compris, voir incompris, passer à côté des défis ;
  • expression de désirs ou ambitions, au lieu de constituer un plan ;
  • des objectifs manquant les priorités, ou inexploitables.

Une mauvaise stratégie définira des objectifs, plutôt que des processus ou des actions. Se faisant, elle ne se confronte pas à la réalité du terrain, et passe d’autant plus facilement à côté des enjeux et des priorités que ses objectifs n’y ont pas été confrontés. C’est précisément l’intérêt de travailler sur les actions et processus concrets.

Remarque : les objectifs sont bons pour la communication, surtout vers l’extérieur, mais les actions et processus à mettre en place sont primordiaux en interne, pour avancer.

Une stratégie doit être claire, simple et accessible. Si elle est formulée avec du vocabulaire ampoulé, des schémas complexes, ou des phrases creuses, elle n’apporte rien et ne mène à rien.

Une stratégie doit fournir une réponse à des défis et des enjeux. Ceux-ci doivent donc être identifiés et compris, avant de pouvoir élaborer la stratégie.

Une stratégie doit fournir les leviers de l’action, des éléments concrets, plutôt qu’exprimer une ambition. Autrement dit, elle doit fournir les moyens de l’ambition. Cela ne signifie pas prévoir ou planifier un budget en fonction des ambitions : la planification n’est pas une mauvaise chose en soi, mais elle ne suffit pas pour faire une stratégie.

LA vision peut comporter des objectifs haut niveau, tandis que les responsables définissent les objectifs sur lesquels reposera la stratégie au niveau de leurs équipes, répondant à leurs défis. Les objectifs ne doivent pas être purement financiers (e.g. “augmenter de x% le chiffre d’affaire”), ou même business (e.g. “accroitre le taux de conversion de x%”), car ils peuvent mener à un mauvais choix d’action (e.g. prendre un antidouleur plutôt que soigner l’origine de la douleur). Ils doivent être beaucoup plus opérationnels, c’est-à-dire connectés et spécifiques au métier de l’entreprise. Ces objectifs doivent également être en nombre réduit, sinon cela ferait “liste au Père Noël” des attentes de la direction …

Une bonne stratégie défini des enjeux critiques, et fournit la passerelle permettant de passer de ces défis aux actions concrètes, et réalistes, à mettre en œuvre. Un bon dirigeant sera capable d’identifier des enjeux clés, mais complexes. S’il fournit des objectifs aussi complexes et ambitieux, il échouera à fournir une base de travail viable pour que les équipes puissent définir et mettre en place les actions menant à la réalisation de ces objectifs.

Pourquoi tant de mauvaises stratégies ?

Créer une mauvaise stratégie n’est pas un choix, mais la conséquence des décisions difficiles qu’entraîne l’élaboration de la stratégie. Pour élaborer une stratégie, il faut mettre en concurrence des valeurs et des options d’importance équivalente. Vouloir partir sur un template “vision, missions, valeurs, stratégies” peut également induire en erreur. Et la dernière source d’erreur consiste à croire que la bonne volonté suffit à réussir…

Prioriser

Une stratégie implique de se focaliser sur ses priorités, et prioriser, c’est faire des choix. Ceux-ci sont d’autant plus délicats qu’ils sont décisifs, et peuvent impliquer des changements profonds, mais vitaux pour l’entreprise. Et plus l’organisation s’est enlisée dans ses habitudes, plus la prise de décision et sa mise en œuvre deviennent laborieuses …

La vision du leader

Une tendance relativement récente (XXè siècle) a voulu que tout bon dirigeant soit également charismatique, puis ce charisme a fini par trouver une définition, une formule par laquelle elle pourrait être répliquée. Ce modèle de dirigeant serait alors porteur de la vision, et aurait les qualités requises (morales, implication, etc.) permettant de transmettre cette vision, et impliquer ses équipes dans sa réalisation. Cette approche mélange direction (“leadership”) et gestion (“management”), le premier définissant l’ensemble des qualités personnelles requises pour impliquer les équipes, tandis que le second s’applique à la mise en œuvre de la stratégie d’un point de vue pratique.

Cette tendance à abouti à la création d’un template sur le modèle suivant : vision, mission, valeurs, objectifs de la stratégie. Ensuite, pour chaque objectif, établir la stratégie correspondante, et pour chaque stratégie, établir une liste d’initiatives. L’ennui avec cette approche, c’est que la littérature encourage à donner de belles phrases et des valeurs pleines de bonnes intentions, mais elles ne permettent pas de se confronter aux véritables enjeux de l’entreprise et de sa stratégie. En fin de compte, ce template se trouve être l’aboutissement d’une tentative pour formaliser (“mettre dans une case”) le charisme…

La force de la volonté (ou pas)

L’idée de réussir par la seule force de la volonté remonte loin. La base des mouvements protestants réside dans l’idée que l’individu peut avoir un contact direct avec Dieu, sans passer par les saints ou le clergé (comme les catholiques).

À partir du XIXè siècle et jusqu’au début du XXè siècle, des courants de pensées ont divergé du protestantisme, jusqu’à retirer la référence à Dieu. Le concept est allé jusqu’à la naissance d’un mouvement “New Thought” (notamment avec Prentice Mulford, à la fin du XIXè siècle) stipulant que la volonté de réussir suffit, pour réussir …

Aujourd’hui, ça a abouti à un florilège d’essais sur le développement personnel, flirtant parfois avoir le mysticisme, qui envahissent les librairies. Certaines de ces pensées ont infusées dans la littérature de gestion et stratégie d’entreprise, jusqu’à imposer l’idée que la vision de l’entrepreneur va aller insufler leur énergie à chaque salarié de son entteprise… Ces courants de pensés ont imposé l’idée que seul l’aspect positif doit être étudié pour élaborer la stratégie, négligeant la mesure des risques, et entrainant l’élaboration de mauvaises stratégies… 

Au cœur de la bonne stratégie

Une bonne stratégie est constitué d’un ensemble cohérent d’actions basées sur une structure : le cœur de la stratégie.

  • Une analyse des enjeux et défis, par laquelle nous éliminons la complexité des faits en se focalisant sur leurs aspects critiques ;
  • des bonnes pratiques sur lesquelles reposent les actions qui permettront de surmonter les obstacles identifiés par l’analyse ;
  • un ensemble d’actions coordonnées entre elles, de sorte à appliquer les bonnes pratiques.

L’analyse

Pour le produit, l’analyse porte sur le marché, la compétition et l’évaluation des besoins et opportunités pour identifier la physionomie des défis et enjeux. Les bonnes pratiques doivent permettre de tirer profit des avantages de l’entreprise pour créer des leviers de croissance, puis de mettre en place les moyens et les actions pour actionner ces leviers.

Pour la plupart des organisations, le diagnostique doit permettre d’identifier les contraintes sur sa chaîne de valeur. Il s’agira alors de définir les évolutions dans les pratiques (et habitudes) par lesquels lever ou contourner ces contraintes, et mettre en place les actions nécessaires à cette évolution. 

Tout ce qui est vision, hiérarchie d’objectifs, métriques, etc. deviennent alors des supports de communication, voir de suivi de la stratégie. Mais la stratégie elle-même repose exclusivement sur le diagnostique, les bonnes pratiques, et les actions.

Le diagnostique repose sur la compréhension de la situation à un moment donné. C’est

  • l’analyse des faits,
  • l’identification des liens de causalité qui les relient, puis
  • isoler les défis, c’est-à-dire les situations (cas de figure, domaines, etc.) les plus importants (ou sur lesquels il est possible/pertinent/nécessaire d’agir), pour
  • les rendre compréhensibles via des analogies ou des références à de précédentes analyses, et enfin
  • constituer une base de connaissance utile aux prochaines analyses, grâce auxquels il sera possible de faire évoluer la stratégie.

Remarque :

  • les entreprises sont confrontées aux mêmes lois de la nature que les êtres vivants. Elles se développent consomment les ressources de leur environnement, et finissent par décroître, au fur et à mesure que ces ressources s’épuisent … à moins d’évoluer, pour exploiter d’autres ressources ou explorer d’autres marchés. La stratégie doit constamment s’adapter pour permettre à l’entreprise de conserver une croissance stable.
  • pour le diagnostic, voir aussi les outils proposés par M. Porter (cf. Understanding Michael Porter, de Joan Magretta).

Les bonnes pratiques

Sur la base du diagnostic, l’entreprise pourra établir des lignes de conduites, grâce auxquelles elle disposera d’un cadre, dans lequel seront établies les actions, et une direction vers lesquelles ces actions doivent mener.

Ces lignes de conduite doivent donc laisser suffisamment de marge de manœuvre pour élaborer les bonnes actions, tout en donnant la direction dans laquelle l’entreprise doit évoluer. Les lignes de conduite sont la méthode expliquant “comment” réaliser la vision, c’est-à-dire adresser les défis identifiés par l’analyse (cf. les leviers de l’action, au prochain chapitre).

Remarque : pour élaborer une stratégie, il faut également se nourrir l’esprit avec toutes les bonnes stratégies, ou du moins celles qui fonctionnent, pour pouvoir s’en inspirer (piquer les bonnes idées).

Le choix pertinent des lignes de conduite repose entièrement sur la qualité du diagnostique et en découlent naturellement.

Pour être complète, la stratégie doit au moins définir les actions dans les grandes lignes, et en accord avec les lignes de conduite. Également, c’est par sa mise en œuvre que l’on peut éprouver, puis faire évoluer, une stratégie.

La coordination

Pour que les actions soient cohérentes, elles doivent être coordonnées sur l’ensemble des fonctions et de la base de connaissance des intervenants : tout le monde doit être aligné et disposer du même niveau de connaissance. La connaissance permet de cibler les actions sur les éléments les plus pertinents de l’entreprise (les bons produits, les bons éléments de l’organisation, etc.).

En plus d’être cohérentes, les actions doivent être coordonnées, pour être efficace. Mais la coordination nécessite de centraliser la prise de décision, alors que les experts sont bien souvent les mieux placés pour faire les bons choix. C’est à ce moment que trouver le bon niveau de détails dans la définition des actions est cruciale, car elle doit à la fois permettre aux équipes d’agir sans les brider dans leurs initiatives.

Sources des forces

Les pratiques, actions et ressources engagées reposent sur l’exploitation des sources de la puissance de l’entreprise. Il existe une infinité de sources à la puissance, et les moyens de l’exploiter varient dans le temps, dépendent du contexte, etc. Mais explorer un certain nombre d’entre eux permet déjà de mieux comprendre comment les identifier dans notre contexte spécifique. 

Utiliser les leviers de l’action

Pour bénéficier d’un bon levier d’action, il faut avoir une bonne connaissance de son environnement, pour être capable d’anticiper les points de pivot sur lesquels concentrer ses efforts.

Pour une entreprise, l’anticipation de la demande repose sur la connaissance de son marché (Remarque : concurrents, substituts, partenaires, nouveaux entrants, et clients. cf. les Forces de Porter) :

  • les tendances qui se dégagent du marché (avec une bonne organisation, on peut anticiper ses évolutions à venir) ;
  • les habitudes, préférences et politiques des autres parties prenantes de l’environnement (le marché, mais aussi les institutions, etc.) ;
  • les contraintes extérieures susceptibles d’affecter les changements (environnement, culture, etc.).

Il s’agit donc de maîtriser son secteur d’activité (marché), d’avoir une bonne culture générale (économie, politique, sciences), et d’être constamment au fait de l’actualité sur les deux.

Toute cette connaissance cumulée offre une perspective permettant alors d’apprécier les leviers intéressants à exploiter. Un levier efficace permet un changement majeur avec une action simple, ou par l’exploitation des atouts de notre entreprise. Si les ressources et moyens étaient illimités, il serait inutile de se concentrer sur un seul levier et de se limiter dans ses objectifs. 

Effet de seuil : c’est le minimum d’énergie/effort nécessaire pour obtenir du résultat (par exemple, le minimum de pub nécessaire pour atteindre le public et lancer la commercialisation). Le niveau du seuil dépend de la surface de la cible (taille du marché, de l’organisation, étendue des régions visées, etc.).

Le nombre et l’amplitude des leviers d’action dépendra donc des ressources disponibles pour les actionner. 

Objectifs à court terme

L’objectif “à court terme” n’implique pas qu’il soit faisable dans un délai court (d’autant plus qu’il faudrait définir “court terme”), mais plutôt “facile d’accès”. Il repose sur les moyens déjà à disposition — matériel et organisationnel — et sur l’expertise nécessaire à sa mise en œuvre (en tout cas, sur quelque chose de suffisamment concret pour transformer la complexité en une difficulté abordable). De fait, il doit être d’autant plus clair qu’il repose sur des éléments connus des équipes.

À l’instar du choix de leviers d’action, celui de l’objectif repose également sur le diagnostique de l’environnement de l’entreprise.

Face à un futur incertain, nous avons tendance à encourager les décideurs à prévoir à long terme, mais ces prévisions seront forcément incertaines. Il vaut mieux s’engager sur le court terme que nous maîtrisons, en laissant les options ouvertes pour le long terme. Ces objectifs fonctionnent sur la même logique que celle d’une partie d’échec, où les deux joueurs chercheront à chaque coup d’obtenir un avantage (plus de liberté pour ses propres pièces, mettre l’adversaire en situation délicate), plutôt que de chercher directement à mettre en échec ou à capturer une pièce précise.

Remarque : on peut dire que la stratégie consiste à préparer le coup d’après … un coup à l’avance.

Si un objectif semble encore trop lointain, il est possible de l’améliorer en cherchant à le concevoir comme une tâche à exécuter.

L’objectif s’établi à la fois dans le temps (induit la prochaine action à entreprendre) et dans l’espace (au travers des différents échelons de l’organisation et dans toutes les équipes constituant l’entreprise). C’est le même principe que l’acquisition de nouvelles compétences, qui repose sur des éléments plus fondamentaux et déjà acquis. Et une entreprise se construit de la même façon, s’insère sur un secteur de marché de la même façon, etc.

Les maillons de la chaîne de valeur

L’idée est d’identifier et agir sur le maillon faible de la chaîne de valeur pour l’améliorer. Il ne s’agit pas de multiplier les ressources sans réfléchir, mais d’analyser la raison pour laquelle ce maillon est faible, et agir précisément sur cette raison.

Chaque lien d’une chaîne dépend des autres. Agir sur un seul maillon ne sera pas efficace sans une vision d’ensemble, et ce n’est pas le responsable d’un seul maillon qui pourra agir, si les autres n’agissent pas à leur niveau. Non seulement l’effort doit être collectif, mais également être coordonné sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

Lorsque la chaîne de valeur dans son ensemble est grippée, l’approche permet de trouver un point par lequel commencer son amélioration. Une fois le où les maillons les plus faibles identifiés, il s’agit de s’impliquer personnellement, et d’impliquer toutes les parties dans leur résolution. À ce moment là nous pouvons nous concentrer sur la finalité, la mise en place d’actions concrètes, grâce aux objectifs fixés avec la stratégie.

Pour obtenir une chaîne de valeur logique, il faut s’assurer de sa cohérence dès sa conception. Cette logique reposera sur les ressources, les compétences, les pratiques mises en place, et la qualité des maillons de la chaîne, constamment améliorés pour maintenir leur cohérence. 

Ainsi, la robustesse de l’entreprise est garantie par :

  • une bonne vision d’ensemble,
  • l’implication de chacun, et
  • la qualité et la cohérence de chaque maillon de la chaîne de valeur

Utiliser la conception

Si la stratégie militaire ne peut pas être appliquée telle quelle à la stratégie d’entreprise, on peut y retrouver des enseignements sur ses fondamentaux.

Trois composants essentiels d’une bonne stratégie sont la préméditation (préparer ses actions), l’anticipation des réactions, et l’action coordonnée. Même s’il faut une dose d’adaptation, voir d’improvisation, à l’instant donné, il est toujours nécessaire de préparer ses actions à l’avance (i.e. d’avoir une stratégie avant de se lancer). Avec une bonne connaissance de l’environnement et des parties prenantes, il est possible de créer une situation dont l’évolution est facile à prédire. Les actions doivent être conçues, élaborées et ajustées pour tirer le meilleur partie de leur coordination.

De l’importance de la conception

Une bonne stratégie dépend de sa conception plus que des décisions prises (construire plutôt que choisir), car nous ne sommes pas toujours confronté à un ensemble d’options structurées, mais plutôt à des ajustements dans un environnement complexe.

L’exigence sur la conception est encore plus forte, pour une stratégie de haut niveau — de grand groupe — car elle implique d’autant plus d’interactions et de paramètres à ajuster. Elle repose sur l’ajustement précis des ressources et les actions susceptibles d’apporter un quelconque bénéfice. Plus les enjeux sont forts, plus l’équilibre entre ressources et coordination doit être précis. Mais viser un marché plus large implique également moins d’enjeux, car moins de spécificités à adresser avec précision (Remarque : mais du coup on cherche moins à se singulariser, sur le marché).

Ressource stratégique

Une ressource stratégique à ceci de particulier qu’elle a nécessité un investissement spécifique, pour développer/acquérir des caractéristiques spécifiques telles, que le coût pour la copier, pour une autre entreprise, serait prohibitif. La ressource est aussi importante pour la coordination que le capital pour la main d’œuvre. Disposer d’une ressource stratégique permet de sécuriser les bénéfices acquis par la coordination et le développement de l’activité qu’elle a entraîné. Il vaut donc mieux peaufiner les ressources (les rendre stratégique) au fil du développement de son activité. Faire évoluer ses ressources est également un moyen de levier pour l’innovation, et entraîner des bénéfices par la même occasion. Mais ils peuvent arriver bien après, et paraître déconnectés des investissements initiaux dans les ressources. Pourtant, l’accumulation de ressources, aussi stratégiques soient-elles, tend à détourner l’entreprise de choix pertinents pour innover et ainsi éviter le déclin (Cela crée d’ailleurs des opportunités pour de nouveaux entrants, et l’évolution du marché, Remarque : cf. la création destructrice de Schumpeter, avec l’exemple de Kodak & co.). Elle accompagne l’élargissement de la gamme de produits et la diversification de l’entreprise, qui perd dans le même temps cette souplesse qui lui permettrait de suivre les évolutions du marché.

Cohérence dans le temps

Pour persister, une entreprise doit être capable de créer, développer et entretenir une image de marque, une vision et une stratégie claire et demeurant cohérente dans le temps, tout en restant constamment attentif aux évolutions du marché pour anticiper les revirements susceptibles d’affecter le cœur de sa stratégie.

Focalisation

Nous pouvons retrouver la stratégie d’une entreprise en analysant les pratiques qu’elle a mis en place pour en identifier les cibles. Par exemple, s’engager dans une activité très technique permet justement de fournir une assistance aux entreprises dont ce n’est pas le cœur de métier.

L’ensemble des pratiques de l’entreprise doivent mener vers un point de convergence, elles vont amener l’entreprise à se focaliser sur ce qui va lui permettre de se distinguer sur son secteur du marché. L’idée est que différents acteurs sur un même marché auront chacun leurs propres règles, et donc leur propre approche du marché, pour adresser, et se concentrer sur des besoins différents et spécifiques.

La focalisation consiste en particulier fournir plus de valeur que les autres acteurs sur un segment de marché spécifique. L’investissement ici se traduit par la coordination des règles et pratiques de l’entreprise, et le fait de concentrer ces investissements sur une cible précise.

Et la focalisation est au centre de la stratégie de la plupart des entreprises (hormis les grands groupes, qui tendent à se disperser).

Croissance

Des erreurs de stratégie sur la croissance peuvent voir leurs conséquences émerger bien longtemps après que les décisions furent prises, et les démarches déjà bien engagées … Les choix pour la croissance de l’entreprise doivent respecter la stratégie initiale de l’entreprise : il est plus important de rester focalisé sur sa spécialité que d’accroitre son marché. La croissance doit également se faire après une analyse méticuleuse du marché, là où nous souhaitons nous étendre (que ce soit sur de nouveaux segments ou de nouvelles régions).

De même, accroître la taille d’une entreprise implique généralement d’alourdir son administration, ce qui entraîne des coûts de gestions supplémentaires et une difficulté accrue à faire évoluer son entreprise.

La croissance n’est pas quelque chose qui se provoque, mais la conséquence d’une stratégie judicieuse. Elle est la conséquence d’une croissance naturelle du marché. Dans ces conditions, elle ne sera pas accompagnée des effets indésirables vue précédemment. 

Exploiter ses avantages

Sur le marché, dans un contexte de compétition, et d’une façon générale, ce sont les différences qui créent des avantages (et inconvénients). Il faut donc connaitre ses propres avantages, ceux pouvant apporter un avantage dans le contexte actuel, pour ensuite investir dedans : choisir ses combats et s’en tenir à ceux pour lesquels on est compétent.

Un avantage compétitif s’applique lorsqu’on est dans une situation où on est capable de vendre un produit ou un service avec une meilleure marge que les autres acteurs du marché. Cela dépend de nombreux facteurs, comme le segment du marché, la région, les besoins spécifiques, etc. Tout ces éléments changent avec le temps, rendant l’avantage compétitif très volatile. Un moyen de l’inscrire dans la durée consiste à sécuriser les ressources sur lesquels repose cet avantage (processus spécifiques, le maillage spécifique de la chaîne de valeur, les licences d’exploitation, des avantages ne pouvant être acquis qu’avec le temps, comme la notoriété, etc.).

Un bon avantage est un avantage que nous avons les moyens d’accroître dans le temps. Autrement, il finira par s’éroder, en partie à cause de la tendance naturelle à l’inflation, et en partie à cause de l’évolution naturelle du marché. Dans un environnement en changement constant, la stratégie doit pouvoir évoluer, et faire évoluer l’entreprise en permanence.

L’avantage compétitif ne se limite pas au profit, mais correspond plutôt au capital. La croissance de la demande entraine une croissance du capital, et l’entreprise peut agir sur la demande via son avantage compétitif. Agir sur l’avantage compétitif ou les ressources peut se faire via :

  • un développement de l’avantage lui-même (accroître l’écart coût/bénéfice en peaufinant sa chaîne de valeur, typiquement ce que vise le Lean),
  • en étendant le périmètre de son avantage (par une excellente connaissance de ses propres atouts, on peut leur découvrir de nouveaux emplois dans de nouveaux segments de marché),
  • en jouant sur la demande (elle peut s’accroître, faisant croître sa valeur, surtout si la disponibilité ne suit pas ; cela peut constituer un avantage, mais nécessite un investissement pour aligner les moyens de production ; cette croissance peut être accrue avec un bon marketing), ou 
  • en pérennisant la protection sur ses avantages (protéger ses ressources, produits, etc. avec des licences, une intégration cohérente et spécifique de la chaîne de valeur, … À contrario, il est possible de protéger son produit en le faisant constamment évoluer, même si ce n’est pas systématiquement par des améliorations — juste du changement — pour en faire une cible en perpétuel mouvement).

S’inscrire dans la dynamique

Une part conséquente de la littérature sur la stratégie concerne les positions dominantes, plus facile à protéger et plus difficiles à attaquer. Peu de littérature s’intéresse à comment accéder à ces positions, car une position facile à atteindre est également une position facile à perdre.

Une approche évidente consiste à se créer soi-même une position dominante par le biais de l’innovation (créer quelque chose de totalement nouveau : technologie, produit, service, processus, etc.). 

Mais on peut également capter un changement majeur de l’environnement. Ceux-ci se comportent un peut comme un tremblement de terre, et peuvent chambouler les conditions d’avantage et de désavantages. Ils dépendent des évolutions technologiques, politiques, sociologiques, d’une évolution des habitudes, … Ils entrainent des changements évidents (comme l’arrivée de la télé entraîne un changement d’habitudes pour les films), mais aussi d’autres moins évidents (les studios de cinéma ont dû s’adapter et favoriser la production indépendante). L’exercice de stratégie consiste alors à creuser au delà des changements apparents pour anticiper ceux plus subtiles, et faire évoluer en conséquence sa chaîne de valeur, sa focale, etc.

Le seul moyen d’anticiper de façon efficace les moindres conséquences d’un changement majeur est d’en connaître les moindres détails pour en comprendre les subtilités. Il ne s’agit pas seulement des détails techniques, comme l’implémentation de l’IA, mais aussi dans quel contexte ce changement se fait, car cela va influencer la façon dont l’évolution va se dérouler (Remarque : par exemple, le contexte politique, combiné avec les innovations techniques, pourraient entraîner un besoin d’un outil permettant pour garantir la propriété et le contrôle de ses données).

L’évolution autour du marché de l’informatique nous montre que, même pour un expert, il est difficile de connaître exactement quand et pourquoi survient une inflexion du marché. Mais très vite, on en ressent les effets, et il est possible de retrouver les éléments clés à l’origine du changement grâce à une excellente connaissance et analyse du marché. À partir de là, il devient possible de trouver quels changements appliquer à sa propre stratégie, pour suivre le virage imprimé par cette évolution sans terminer dans le décor.

Bien qu’il soit virtuellement impossible d’anticiper exactement les inflexions du marché, quelques indicateurs permettent de les sentir se manifester, donnant ainsi l’occasion d’adapter sa stratégie :

  • Escalade des coûts fixes : ceux-ci limitent l’accès au marché aux acteurs capable de suivre, soit par leur moyens financiers, soit par leur moyens de recherche (donc leur capacité à investir);
  • Dérégulation : lorsque le gouvernement change les règles, ça se fait forcément au détriment d’une partie des acteurs du marché, par rapport aux autres (et certaines grandes entreprises à structure complexe et trop hiérarchisée peuvent avoir leurs coûts réels cachés dans un système complexe, ce qui leur impose une lenteur de réaction, face aux changements) ;
  • Erreur de prévisions : en temps normal, il est possible d’anticiper l’évolution d’un produit, entre son arrivée (forte demande), son adoption, puis son déclin, mais des situations peuvent porter à confusion, comme le fait qu’un début rapide amènera certainement à une fin rapide, ou une rupture brutale par l’arrivée d’un concurrent inattendu ; 
  • L’inertie des piliers du marché (NB: traité en détail au chapitre suivant, « Inertie et entropie »);
  • L’état de l’attracteur : un attracteur est un élément du marché qui va attirer tout les acteurs (comme l’idée d’utiliser les IP de partout de Cisco, alors favorable à tout le monde, contrairement au modèle propriétaire des concurrents, qui étaient plus complexe à maintenir). Il est possible de l’identifier justement par son attrait (par exemple par leur popularité, en voyant l’efficacité d’une solution en la testant, etc.).

Remarques : 

  • une difficulté est d’arriver à diagnostiquer le marché, sans se laisser tenté par une idée préconçue sur la stratégie qui conviendra (un peu comme au poker, où on peut s’attacher à son jeu, alors que le comportement des concurrents va peut-être nous démontrer qu’on se trompe).
  • La tentation naturelle des entreprises à protéger leur avantage compétitif tend à créer des situations comme celle du net des années 80 : chacun possède son matériel, protocole, et logiciel propriétaire, et quand les universités mettent en place l’arpanet et le protocole IP (gratuit et libre d’utilisation), tous perdent leurs parts de marché (excepté quelques malins comme Cisco, qui étaient déjà sur la brèche). Point de vue utilisateur final, l’intervention des institutions a crée un bénéfice considérable, au détriment des acteurs majeur du secteur Mise à l’épreuve de la posture libérale ? Ce serait oublier que les acteurs privés de l’époque avaient déjà accomplis des performances sur lesquels l’offre publique avait plusieurs années de retard, et qu’une convergence naturelle était déjà en voie d’émerger (cf. groupe OSI, dont les membres — acteurs privés — négociaient déjà des interconnexions entre leurs services). D’autre part, TCP/IP a surtout progressé dès que l’État a lâché prise, avec une multiplication par 100 du réseau dans les années qui suivirent la privatisation du réseau.

Inertie et entropie

Ma propre inertie / l’inertie des autres

Pour une entreprise, l’inertie représente les domaines dans lesquelles elle aura le plus besoin de temps pour changer. Cependant, les changements sur le marché, leur contexte, etc. finissent inévitablement par se produire, obligeant les entreprises à constamment garder la main sur la barre du navire.

Connaître les domaines dans lesquels les autres acteurs du marché ont le plus d’inertie est d’autant plus vital que ce sont des domaines dans lesquels investir justement pour être efficace. 

Inertie due à la routine

Une fois un plan d’action et des processus mis en place, ceux-ci entrainent une routine issue de notre tendance naturelle à éliminer les efforts. Le même phénomène peut arriver pour les habitudes du marché. Un regard extérieur peut nous révéler des choses considérées comme acquises, mais qui ne sont plus vraies, face aux changements du marché, etc. Le plus dur est d’admettre que nos anciens processus sont devenus obsolètes, et que leur évolution est nécessaire. Si les changements sont importants, ou la prise de conscience tarde, il peut être nécessaire d’envisager une rupture avec l’ancien modèle.

Inertie due à la culture

Les normes et mentalités animant l’entreprise peuvent entraîner des biais à cause desquels les équipes ne verront pas une opportunité quand elle se présentera à eux. En fait d’animer, une culture trop profondément ancrée, et rigide, va nuir à la souplesse et l’adaptabilité de l’entreprise. Pour retravailler la culture d’une organisation, ou équipe, il faut la simplifier en la restructurant et en éliminant tout les éléments susceptibles d’éloigner le groupe de ses intérêts. Il est alors possible de réintroduire des principes et de faire évoluer les habitudes pour relancer son développement. 

Inertie par procuration

Il s’agit d’une inertie due, non pas à une source interne, mais externe, comme les habitudes des clients (ou d’une part conséquente de clients), ou une lenteur à réagir des acteurs du marché face à un changement (e.g. qui sera le premier à prendre le risque et s’investir ?). Cette forme d’inertie pourra être surmontée lorsque l’entreprise accepte de risquer une ancienne source de profits pour une nouvelle, donc lorsque le risque sera considéré comme suffisamment faible pour valoir le coup.

En résumé

L’inertie peut venir de l’intérieur de l’entreprise, comme par la routine, ou la culture, c’est-à-dire que les individus se sont ancrés à des habitudes, des processus, des normes, etc. Dans ces cas là, une prise de conscience est nécessaire, pour pouvoir ensuite remettre en question les acquis. Enfin, l’inertie peut venir de l’extérieur, c’est-à-dire des autres protagonistes du marché (clients, etc.). Là, l’entreprise doit évaluer le bénéfice d’une prise de risque sans surestimer les conséquences sur ses sources de profit actuels. Dans tout les cas, il ne faut pas se laisser avoir par les biais qui viennent de ce qui paraît acquis, et rester apte à prendre du recul, pour considérer toutes les opportunités.

L’entropie

L’entropie pour une entreprise désigne sa tendance naturelle à s’éparpiller au fur et à mesure qu’elle se développe, jusqu’à accumuler des sources de pertes dissimulées dans son activité, comme la mauvaise herbe dans le jardin. Le travail consiste alors à mettre de l’ordre dans le chaos.

“Hump Chart”

Quand il est possible d’assigner le profit ou le gain de façon individuelle entre les produits, services, segments de marché, etc. de l’entreprise, il est possible d’évaluer le gain ou profit cumulé de chacune de ses parties pour identifier lesquels apportent encore du bénéfice, ou non. S’il est possible de traiter les opérations de l’entreprise de cette façon, nous pourrons identifier des faiblesses d’organisation. La solution n’est pas forcément de supprimer les mauvais éléments (à la limite ceux dont l’évolution aurait un coût trop élevé), mais de traquer les pistes d’amélioration et les exploiter, clarifier le périmètre de chaque composant de l’analyse (e.g. deux produits fournissant des services clairement distincts, visant des publiques bien différents, etc.).

Les sources des forces : synthèse 

L’analyse du marché ne se résume pas à l’analyse des chiffres, mais à la connaissance des besoins des clients et utilisateurs, jusqu’aux utilisateurs finaux, pour trouver les nouvelles opportunités.

Si établir les objectifs ne peut se faire sans les bonnes pratiques et actions qui les rend réalistes, tout l’ensemble doit être l’affaire de l’équipe (et pas seulement l’affaire d’un responsable) pour que chacun des membres de l’équipe s’approprient les objectifs et les moyens mis en place pour les réaliser.

Une bonne vision d’ensemble sur la chaîne de valeur permet de traquer tout les points où la stratégie peut être appliquée. Cela nécessite de s’impliquer, et d’impliquer toute l’équipe dans l’exercice.

Comprendre le marché (encore) et notamment les choix des concurrents, combiné avec une bonne maîtrise de ses propres moyens, aide à trouver des pistes à exploiter pour développer sa propre stratégie.

La stratégie est constamment en mouvement, car l’environnement dans lequel elle évolue est lui-même constamment en mouvement. Il faut donc constamment surveiller son marché, ses protagonistes, ses propres atouts et points faibles, surveiller tout ce qui pourrait diverger, et garder suffisamment de souplesse, pour être capable de réagir lorsqu’une évolution est nécessaire. 

La pensée du stratège

Du bénéfice de l’introspection pour développer une démarche scientifique, explorer des pistes inédites, tirer bénéfice de la critique, et sur le développement de son propre esprit critique.

La science de la stratégie

L’expertise d’une entreprise se construit sur ses connaissances fonctionnelles. Chaque nouvelle stratégie constitue une hypothèse basée sur ses connaissances. Sa mise en œuvre constitue l’expérimentation par laquelle nous validerons (ou non) cette nouvelle stratégie, qui viendra alors enrichir la base de connaissance de l’entreprise, et qui continuera à servir de base pour les prochaines évolutions de la stratégie.

Le besoin d’hypothèses survient lorsqu’on se trouve aux limites du connus et que nous avons besoin d’avancer davantage … dans l’inconnu. Pour une entreprise, la stratégie est l’hypothèse qui permet de repousser ses limites et d’évoluer face à l’inconnu du marché tel qu’il sera dans le futur (Découvertes scientifique, innovation des concurrents, changement dans les besoins utilisateur, situation économique et politique, etc.). Si tout était parfaitement maîtrisé, toutes les règles déjà établi, et qu’il n’y avait plus rien à découvrir, nul besoin de stratégie, ou d’hypothèse, il suffirait d’appliquer la bonne formule pour obtenir le meilleur résultat. Mais face à l’inconnu, il faut déduire, s’aider d’analogies, juger (esprit critique), et jouer d’inspiration. 

L’hypothèse est une déduction logique découlant des connaissances et de l’expertise acquises. Pour se confronter au marché, la stratégie repose sur les acquis de l’entreprise, càd les compétences et les personnes portant cette compétence au sein de l’entreprise. 

L’hypothèse nécessite également de l’inspiration et de l’intuition, c’est-à-dire de formuler une théorie (des suppositions) sur ce qui se trouve au delà du terrain connu. La démarche scientifique consiste alors à confronter son hypothèse à la réalité, jusqu’à trouver une expérimentation qui dément la théorie. Une théorie qui ne peut être expérimentée ne peut pas prouver sa véracité (ou du moins un cadre dans lequel elle est valide). De la même façon, la stratégie implique un saut dans l’inconnu, mais doit être confrontée à la réalité et doit être applicable pour être validée (et ne pas être accepté sans résultat).

Remarque : toute la difficulté, quand nous ne sommes pas le décideur, c’est de pouvoir apporter suffisamment de matière pour justifier que sa stratégie est valide, sans l’avoir déjà mise en œuvre. C’est là que connaître son environnement est important, car cela permet de montrer que la déduction est effectivement logique, et disposer d’un plan, pour être capable de démontrer qu’on est capable de la mettre en œuvre.

Le moment où la théorie (donc l’hypothèse ou la stratégie) atteint ses limites, c’est le moment où nous lui découvrons une anomalie, « ça ne marche plus ». L’anomalie n’est pas une erreur dans l’environnement, mais dans la théorie. C’est alors une opportunité pour explorer de nouvelles idées, faire évoluer sa théorie, mettre en place de nouvelles actions, et reprendre le chemin de l’expérimentation.

Atouts pour l’entrepreneur : savoir quelque chose que personne d’autre ne sait, et/ou avoir la main-mise sur une ressource difficile d’accès mais très demandée. S’il dispose d’une piste pour une idée originale, l’entrepreneur peut utiliser le processus d’expérimentation pour accumuler cette connaissance par laquelle il se distinguera sur le marché.

Remarque autre point stratégie : chercher à se différencier (connaître chacun des acteurs du marché, leurs points forts et faibles), permet d’identifier un créneau de libre.

Utiliser sa tête

L’attention d’un individu peut facilement être distraite, s’il se disperse de trop. Parfois, des actions aussi simple que de garder une liste de priorités aidera à rester focalisé sur sa stratégie. Une priorité ne se défini pas seulement par son importance, mais aussi par notre capacité à agir dessus. Cette liste doit nous amener à réfléchir sur des actions possibles à mettre en œuvre immédiatement, et pas des « plans sur la comète ». S’interroger sur ses objectifs, points forts, points faibles, etc. est également l’occasion de se poser et prendre du recul.

Développer une stratégie implique de repousser ses propres limites cognitives : prendre plus de recul, analyser son environnement avant d’agir, etc.

Beaucoup de décisions stratégiques portent sur des sujets trop complexes pour faire l’objet d’une analyse classique, ce qui a tendance à nous ramener à un jugement instinctif, potentiellement biaisé. Bien que ce ne soit pas un mal en soi (surtout pour un dirigeant expérimenté), il est quand même important de prendre le temps de se confronter à d’autres avis et points de vue. De même, une démarche scientifique d’expérimentation permettra de confronter son jugement à la réalité.

D’autre part, il existe une variété d’outils utiles à connaître, et à pratiquer, pour contourner ses biais cognitif, analyser ses propres analyses, et garder une trace de ses propres jugements pour pouvoir les améliorer.

  • Revenir au cœur de la stratégie : nous n’avons aucun contrôle sur nos inspirations. Il en est d’autant plus important d’en revenir à la base : diagnostique, principes et actions.
  • De la solution, remonter au problème : nous avons naturellement tendance à penser en terme de solution, mais il faut prendre le temps de revenir à une analyse du problème, son diagnostique, pour que la solution soit pertinente.
  • Détruire pour mieux construire : lorsqu’une stratégie rencontre des difficultés, nous aurons naturellement tendance à insister plutôt qu’explorer une autre piste. Prendre le temps de se remettre en question, et de reprendre son diagnostique est une tâche difficile à accepter, mais qui peut ouvrir de nouvelles portes.

Pour se remettre en question, il faut étudier le problème sous différents angles, différents points de vue, et s’imaginer des visions radicalement différentes, pour innover. NB : R. Rumelt suggère de carrément s’imaginer un panel d’experts inspirés de personnages réels et d’imaginer leur réaction face à notre proposition.

Se connaître, savoir se remettre en question, comprendre les choix des autres individus, et savoir analyser les autres acteurs du marché sont les bases d’une bonne stratégie. Si un bon jugement (ou diagnostique) possède une part d’innée, il peut être développé par l’exercice, typiquement en posant ses idées par écrit.

Garder sa tête sur ses épaules

Naviguer entre adopter une attitude excentrique et suivre la foule, naviguer entre douter de tout et la confiance absolue, n’est pas quelque chose qui s’apprend, malgré l’importance que cela revêt.

Le coût ne vient pas du produit, mais du choix, et plus spécifiquement du choix de produire. C’est le coût engendré par la décision qu’il faut évaluer.

Plutôt qu’une confiance aveugle, reprendre les fondamentaux et confronter le courant majeur aux résultats de cette analyse peut révéler une divergence. Nous pouvons également nous retrouver face à un choix insoluble lorsque nous sommes dans un système fermé, similaire à celui du théorème de Gödel. La solution se trouve alors à l’extérieur du système, par exemple en portant son analyse sur d’autres régions, d’autres époques, en marge du marché, etc.

La tendance naturelle est de se reposer sur ses certitudes ou celles de personnes considérées comme expertes. Mais le mieux est de se faire sa propre expérience : aller voir ailleurs, d’autres lieux et d’autres époques, nous permettra de voir que notre situation n’a rien d’unique, et que nous sommes potentiellement en train de reproduire les mêmes erreurs que nos prédécesseurs …

Synthèse 

Tout part d’une parfaite connaissance de son domaine, d’une bonne culture générale, et d’une veille constante sur les deux. À partir de là, la clé est la prise de décision au moment opportun, pour tirer bénéfice de la situation à l’instant donné.

La stratégie ne se limite pas au choix de part de marché, ni à l’angle d’attaque pour l’aborder. Elle concerne également la façon de concevoir et de faire évoluer sa chaîne de valeur, la gestion des ressources, la politique et les processus de l’entreprise, sont organisation, etc. Elle ne se limite pas aux généralités, mais infuse dans l’intégralité de l’entreprise, sur toute la hiérarchie et tout les métiers. La stratégie n’est pas seulement l’affaire des stratèges, mais de toute l’équipe, de toute l’entreprise : chacun doit être impliqué dans sa définition et sa réalisation. 

Diagnostique :

  • partir du contexte (marché, état de l’organisation, etc.) ;
  • analyser les faits ;
  • identifier les points critiques sur lesquels agir.

Lignes de conduite :

  • découlent naturellement de l’analyse des faits ;
  • définir un cadre pour les actions ;
  • définir une direction pour les actions ;
  • exprimer en termes clairs et précis.

Actions :

  • traduire les lignes de conduite ;
  • éprouver le diagnostic et les lignes de conduite ;
  • faire évoluer la stratégie.

Capitaliser sur l’expérience :

  • utiliser des objectifs et métriques pour qualifier les actions ;
  • s’inspirer des précédentes expériences et utiliser des analogies pour exprimer clairement la stratégie.

Vision et objectifs peuvent être utiles, mais clairement insuffisants :

  • la vision permet de communiquer vers l’extérieur, mais elle doit venir de la stratégie, pas l’inverse, pour éviter de tomber dans un jargon creux et sans valeur ajoutée ;
  • les objectifs (et métriques) doivent permettre de suivre l’efficacité des actions, et donc de la stratégie, et surtout pas servir à définir les actions.

La connaissance du marché, de ses moyens de production, mais aussi de l’environnement étendu (politique, financier, technologique) permet d’en anticiper les évolutions et d’adapter sa stratégie en conséquence.

Les formes d’action :

  • se focaliser et investir ses moyens sur un segment de marché précis (et savoir se différencier des autres acteurs) ;
  • levier : tirer profit d’une action simple et spécifique susceptible de créer un bénéfice significatif ;
  • objectifs court terme : s’appuyer sur les acquis pour établir le prochain coup à jouer. 

Remarque : un point qui revient souvent, c’est une sorte de cycle entre

  • une innovation qui ouvre de nouvelles opportuntés,
  • la standardisation qui va permettre à l’innovation de se propager,
  • cette standardisation fini par créer un goulot d’étranglement,
  • celui-ci va ralentir la croissance de l’entreprise (réduit la marge de manœuvre), mais du coup,
  • une nouvelle innovation va ouvrir une nouvelle opportunité, généralement sans remettre en cause les précédents standards (sauf s’ils deviennent obsolètes), car il s’agit d’un nouvel axe différent du précédent.